L’impact des avancées techniques et théories optiques sur la peinture du 19e siècle

L’Europe de la deuxième moitié du XIXème siècle, et plus particulièrement la France, voit se développer ce que l’on va appeler la peinture moderne, dans laquelle de nouveaux mouvements artistiques tentent de s’épanouir, parfois à contre-courant de l’Académisme.


En 1873, Claude Monet expose Impression, Soleil levant, acte fondateur du courant impressionniste. Les impressionnistes cherchent à restituer les sensations ressenties face à un paysage changeant et à saisir les effets fugaces de la lumière. Pour cela, ils prennent l’habitude de peindre les paysages en extérieur et non plus en atelier, et leur manière de peindre devient beaucoup plus rapide et spontanée.

D’ailleurs, le résultat ne manque pas de choquer à l’époque ; palette réduite, formes imprécises, mouvements simplement suggérés d’un coup de pinceau, gommage des volumes et de la profondeur : la peinture impressionniste s’affranchit des codes de la peinture académique.

Cette pratique de la peinture est par ailleurs favorisée par une avancée technique : l’invention dans les années 1840 du tube de peinture, permettant dorénavant aux peintres de se déplacer avec des couleurs préparées à l’avance qui se conservent plus longtemps (car le tube est en métal souple et refermable). Parallèlement se développe l’usage des toiles blanches prêtes à l’emploi et du chevalet portatif (autre nouveauté technique facilitant la peinture de plein air).

C’est aussi dans l’utilisation que font les peintres de leurs couleurs que se trouve l’innovation : ils suppriment de leur palette les couleurs ternes et le noir et appliquent les couleurs sur la toile par touches fragmentées en privilégiant les contrastes. Cette nouvelle manière d’envisager la peinture sera aussi le point de départ du courant néo-impressionniste.

Claude Monet, Le parlement de Londres, 1904, peinture à l’huile sur toile, H. 81,5 x L. 92 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda

Monet a fait plusieurs tableaux représentant le Parlement de Londres. Comme pour ses séries de tableaux Cathédrales et Meules, il s’applique à transcrire les différentes atmosphères que dégage le paysage formé par le Parlement et la Tamise en fonction des changements de lumière à la faveur des heures qui s’écoulent. Ce tableau en est un exemple.

En effet, à partir des années 1880, Georges Seurat pousse le procédé plus loin en l’associant à plusieurs théories optiques, ce que Paul Signac théorise sous le terme de « divisionnisme ». Il dépasse l’approche intuitive des impressionnistes pour fonder son esthétique sur une rigueur scientifique, portée à son paroxysme dans Le Cirque (1890). Celle-ci repose plus particulièrement sur la Loi du contraste simultané des couleurs du chimiste Michel-Eugène Chevreul : une couleur s’interprète toujours en fonction des couleurs avoisinantes ; elle n’existe pas seulement par elle-même.

Georges SEURAT, Paysage à Grandcamp ; Paysage, vers 1885, peinture à l’huile sur bois, H.16 cm x L. 24 cm, MNR 1005 (dépôt Musée d’Orsay), In.D.95-2-1, Lille, Palais des Beaux-Arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda

Seurat expérimenta pendant plusieurs années avant d’aboutir à sa technique divisionniste.

Ainsi, les néo-impressionnistes utilisent des couleurs pures (couleurs primaires et leurs complémentaires) qu’ils ne mélangent pas sur leur palette : elles sont juxtaposées sur la toile par petites touches – voire des points (pointillisme) – et le mélange s’opère ensuite, à distance, dans la perception du spectateur. On parle de « mélange optique ». De cette manière, les peintres peuvent obtenir une quantité infinie de teintes, les minuscules particules colorées réagissant les unes avec les autres. Cette technique basée sur la loi de Chevreul permet une exaltation des contrastes par l’opposition des complémentaires sans perdre en intensité lumineuse, la représentation des effets de la lumière étant toujours le but recherché. Cependant, l’exécution est lente car très minutieuse, et nécessite donc de travailler en atelier.

Henri Martin, Les Dévideuses, vers 1912, peinture à l’huile sur toile, Saint-Quentin, Musée Antoine Lécuyer. © ACMHDF / Franck Boucourt

Publiée en 1839, la loi de Chevreul était déjà connue de Delacroix et des impressionnistes, mais jamais appliquée aussi méthodiquement. S’il découle et se réclame de l’héritage des peintres réunis autour de Monet, le néo-impressionnisme donne à la division des tons une toute nouvelle dimension. C’est pourquoi Camille Pissarro l’a qualifié à l’époque d’« impressionnisme scientifique ».

Henri-Edmond Cross, Le Four des Maures, 1906-1907, peinture à l’huile sur toile, H. 73 x L. 92 cm, n°1985.5, Douai, Musée de la Chartreuse. © ACMNPDC

Après la mort de Seurat, beaucoup de ses suiveurs se détachent progressivement des contraintes scientifiques pour développer des techniques plus personnelles, échangeant même la touche pointilliste pour des touches plus carrées et plus larges. Le mélange optique est moins évident mais est compensé par une plus grande clarté et une couleur plus vive.

Henri Edmond Cross, Portrait de Madame Cross, vers 1901, Douai, Musée de la Chartreuse (dépôt Musée d’Orsay). © Musée de la Chartreuse, Douai / Claude Thériez

Clémence Colinet