La représentation des savants

L’habit fait le moine, en art comme ailleurs. Lorsque les artistes représentent les scientifiques, ils leur attribuent un certain nombre de caractéristiques qui permettent aux spectateurs d’identifier le personnage ou son domaine d’activité.

Transposition du philosophe antique ou du magicien, le savant est dès la Renaissance incarné par un homme âgé et barbu, comme en témoigne L’Hermogène de Jérôme Bosch (v. 1450-1516), mais il s’en différencie souvent par des outils ou des documents : par exemple, le télescope et les instruments de mesure de l’astrologue de François Eisen (1685-v. 1778).

Jérôme Bosch (v. 1450-1516), Saint-Jacques et le magicien Hermogène, peinture à l’huile sur bois, H. 62 cm x L. 41,5 cm, Valenciennes, Musée des Beaux-Arts. © RMN / René-Gabriel Ojéda

Philosophie, science et magie, sont très régulièrement confondues avant le XIXe siècle. Les artistes ne différencient pas les représentations de ces fonctions. Si à partir de la Renaissance, l’Eglise commence à reconnaître avec d’énormes difficultés la notion de pensée scientifique, c’est à la condition qu’elle ne contredise pas ses textes sacrés. L’Inquisition n’est jamais très loin des penseurs hétérodoxes et les recherches sortant de la stricte orthodoxie sont vouées au feu des bûchers.

François Eisen (1685-v. 1778), Un astrologue, XVIIIe siècle, peinture à l’huile sur toile, H. 27 cm x L. 22 cm, Valenciennes, Musée des Beaux-Arts. © Musée des Beaux-arts de Valenciennes / Claude Thériez

L’astronomie et l’astrologie partagent la même origine. Elles ne sont pas encore totalement différenciées au XVIIIe siècle. La tenue vaguement orientale du personnage l’oriente plutôt vers l’astrologie. Par ailleurs, ce tableau est aussi une vanité : les instruments de mesure sont dispersés sur le sol rappelant au spectateur la vanité du savoir et de la divination astrologique. Étonnamment, Eisen y associe la palette du peintre.

La figure de Léonard de Vinci vient renforcer cette iconographie au point d’en devenir parfois caricaturale : deux des Savants (1912) qui observent avec attention le contenu d’un récipient vide sont des « savants-cosinus » que le fusain de Lucien Jonas (1880-1947) n’a pas manqué d’égratigner.

Lucien Jonas (1880-1947), Savants, 1912, dessin au fusain rehaussé à la craie sur papier marouflé sur toile, H.113,5 cm x L.116,5 cm, Denain, Musée d’archéologie et d’histoire locale. © Germain Hirselj / Communauté d’Agglomération de La Porte du Hainaut

Enfin, une nouvelle représentation du scientifique apparaît au second tiers du XXe siècle : celle de l’homme en blouse blanche. Il figure dans la marge d’un tableau de Lucien Jonas, Les forges du Nord et de l’Est (1942), et y est présenté comme un des acteurs de la sidérurgie (dans la partie supérieure gauche du tableau).

Le tableau allégorique commandé par la direction d’une grosse entreprise sidérurgique représente une coulée d’acier valenciennois irriguant toute la France, patrimoniale et métallurgique. Dans ses marges, les métiers indispensables à cette activité sont représentés en médaillons, dont celui du scientifique.

Lucien Jonas (1880-1947), Les forges du Nord et de l’Est, 1942, huile sur toile, H. 308 cm x L. 200 cm, Denain, Musée d’archéologie et d’histoire locale. © Germain Hirselj / Communauté d’Agglomération de La Porte du Hainaut

Nos collections septentrionales, reflets de nos sociétés patriarcales, ne présentent que très peu de «savantes». Le musée de Douai possède une grisaille de Christine de Suède (1626-1689) en Athéna. Cette reine atypique n’est pas à proprement parler une scientifique, mais sa vaste culture et son action de protection des savants et des arts libéraux en général l’apparentent à la déesse de la science et de la sagesse.

Casquée, porteuse de l’égide ornée du masque de Méduse, accompagnée de la chouette, des livres et du rameau d’olivier, la reine de Suède est portraiturée allégoriquement comme le buste sculpté d’Athéna, déesse grecque protectrice des sciences. En effet, femme cultivée parlant plusieurs langues, correspondant ou invitant à la cour de Suède les plus grands savants européens, Christine sans être à proprement parler une savante, fit énormément pour les sciences de son temps que ce soit pendant son règne (1632-1654), ou après son abdication.

Jean Erasme Quellin (1634-1715), Portrait allégorique de la reine Christine de Suède, XVIIe siècle, peinture en grisaille à l’huile sur bois, H. 24, x L. 19 cm, Douai, Musée de la Chartreuse. © Musée de la Chartreuse de Douai / Béatrice Hatala

Les portraits des savants présentent parfois aussi des attributs qui les identifient : les plans de fortifications et le baudrier de l’Ingénieur militaire de Théodore Rombouts (1597-1637) montrent les fonctions du modèle inconnu. Accompagnés par l’allégorie de la Science, les savants picards salués par la France peints par Félix Barrias (1822-1907) portent eux aussi les instruments de leur matière.

Théodore Rombouts (1597-1637), Ingénieur militaire, premier tiers du XVIIe siècle, peinture à l’huile sur toile, H. 76 cm x L. 78,5 cm, Douai, Musée de la Chartreuse. © Musée de la Chartreuse de Douai / Daniel Lefebvre

Nos collections septentrionales, reflets de nos sociétés patriarcales, ne présentent que très peu de «savantes». Le musée de Douai possède une grisaille de Christine de Suède (1626-1689) en Athéna. Cette reine atypique n’est pas à proprement parler une scientifique, mais sa vaste culture et son action de protection des savants et des arts libéraux en général l’apparentent à la déesse de la science et de la sagesse.

Félix Barrias (1822-1907), La France couronne les gloires picardes (v.1864), peinture à l’huile sur toile marouflée, H. 180 x L. 180 cm, Amiens, Musée de Picardie (dôme). © Musée de Picardie / Thierry Rambaud

Ce tableau est conçu dans un ensemble destiné à célébrer les grandes personnalités picardes saluées par la France (poètes, artistes, scientifiques, patriotes). Les portraits des personnages sont accompagnés de l’allégorie de la Science, peinte en grisaille entre les médaillons. Les savants représentés sont : Philippe de Beaumanoir (jurisconsulte), Charles Du Cange (historien, linguiste, philologue) et Jean-Baptiste Delambre (mathématicien, astronome)

Enfin, les sculptures monumentales de scientifiques ou de techniciens ayant développé quelque invention utile peuvent être agrémentées de personnages secondaires illustrant la reconnaissance de la société : c’est un galibot reconnaissant qui accompagne le buste de l’inventeur sur la maquette du monument à Pierre Joseph Fontaine, sculptée par Corneille Theunissen (1863-1918).

Corneille Theunissen (1863-1918), maquette du Monument à Pierre-Joseph Fontaine, inventeur du Parachute des mines, 1900, plâtre patiné et bronze fondu et patiné, H. 120 cm x L. 50 cm x P. 50 cm, dépôt du musée Théophile Jouglet d’Anzin, Denain, Musée d’archéologie et d’histoire locale. © Germain Hirselj / Communauté d’Agglomération de La Porte du Hainaut

Philippe Gayot