Restaurer (II) : l’exemple d’un paravent Art déco du MUDO

Ce paravent est né de la collaboration entre le peintre Henry de Waroquier (1881-1970) et Jean Dunand (1877-1942), un artiste décorateur virtuose qui a su adapter la technique orientale de la laque à la réalisation de meubles modernes très raffinés. Il a été créé pour l’exposition internationale des Arts décoratifs qui s’est tenue à Paris en 1925 et qui a donné son nom au style Art déco .

Vue générale avant intervention :

Henry de Waroquier, Jean Dunand, Paysage de Moustiers-Sainte-Marie, 1923, laque, coquilles d’œuf et peinture à l’huile sur panneaux de bois, 188,5 x 200 cm, Beauvais, Musée de l’Oise (dépôt du musée d’Orsay). © C2RMF / Gérard de Puniet

Le paysage panoramique qui se déploie sur les quatre panneaux de bois fait appel à de nombreuses techniques de création : laque pour les ciels, mosaïque en coquilles d’oeuf pour les montagnes et les architectures, touches de peinture à l’huile enfin, où dominent les rouges, les bruns et les bleus, appliquées directement sur la mosaïque ou sur un papier intermédiaire. La laque et la mosaïque sont particulièrement fragiles et peuvent aussi se dégrader dans de mauvaises conditions climatiques. On y observait ainsi, avant l’intervention, des fissures, des soulèvements et des lacunes. Des interventions anciennes inadaptées avaient engendré des dommages, comme des dépôts blanchâtres laissés par des produits de nettoyage commerciaux ou des retouches de peinture très maladroites pour cacher des lacunes de couleur et de coquilles.

L’intervention a débuté par une étude scientifique afin d’identifier précisément les matériaux et les techniques de la création et pour aider les restaurateurs à établir le bilan de santé de l’oeuvre. Cette étude comprend un volet d’imagerie, avec des radiographies et des photographies sous différents types d’éclairage, ainsi que des analyses réalisées sur des échantillons prélevés sur l’oeuvre, de la taille d’une tête d’épingle.

Radiographie (détail, partie supérieure du panneau 3) :

L’image révèle la présence d’une toile épaisse encollée sur le support de bois. La couleur blanche qui permet de la distinguer est due à la présence d’une couche riche en éléments lourds comme le plomb, opaques aux rayons X. Les îlots et le réseau de lignes brisées noires correspondent à des zones où la toile, cloquée ou plissée au moment du collage, a été découpée au cutter avant l’application des couches colorées. On distingue aussi les vis assurant la liaison du cadre ainsi que les charnières en cuivre reliant les panneaux.

Coupe stratigraphique d’un micro-prélèvement :

Le prélèvement, sectionné dans son épaisseur, est observé au microscope afin d’étudier les couches qui le composent. On observe (en lumière normale, à gauche, et sous lumière ultraviolette, à droite) quatre couches translucides et homogènes sur un substrat beige contenant des grains de pigments. Cette stratigraphie est compatible avec la technique de la laque, obtenue par l’application en couches fines successives de sucs extraits d’arbustes d’Extrême-Orient, donnant au séchage un film brillant.

Elle s’est poursuivie par une étude technique confiée à deux restauratrices afin de dresser un constat détaillé des altérations et réaliser les tests nécessaires à la sélection des produits, des méthodes et du niveau d’intervention. Elle s’est achevée par la mise en oeuvre des traitements : nettoyage, remise dans le plan et collage des fissures et des écailles, dégagement des anciennes retouches avant comblement et mise au ton des lacunes.

Détail d’une retouche de peinture ancienne et grossière (repeint) dans une lacune de coquilles d’oeuf :

  • À gauche, avant traitement, en lumière légèrement rasante.
  • À droite, la même zone après enlèvement partiel du repeint et tests de retouche (réintégration) :
    1. réintégration de type pointilliste en partie médiane
    2. réintégration « à l’identique » (ou illusionniste) en partie basse.

Après discussion avec les conservateurs, la deuxième option a été retenue pour la restauration. L’oeuvre restaurée sera présentée dans le parcours permanent du MUDO – Musée de l’Oise.


Texte : Gilles Barabant, conservateur en chef du patrimoine, Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).
Responsables scientifiques de l’oeuvre : Yves Badetz, Musée d’Orsay, Paris ; Gilles Baud-Berthier et Sylvain Pinta, Mudo – musée de l’Oise, Beauvais.
Programmation et suivi de l’intervention : Gilles Barabant
Examens et analyses : Nathalie Balcar, ingénieure d’étude, chimiste (C2RMF) ; Gérard de Puniet et Philippe Salinson, photographes-radiographes (C2RMF).
Restauration et étude préalable : Anne Jacquin, restauratrice de laque ; Nelly Cochet, restauratrice de peinture.