La représentation des médecins

Nous poursuivons l’exploration des collections des musées des Hauts-de-France avec une petite sélection d’œuvres illustrant la vision de la médecine du XVIe au XIXe siècle.

Précisons que, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, on distingue deux professions rivales, le médecin et le chirurgien-barbier. Le médecin suit un long parcours dans une des rares universités enseignant la médecine en Europe, ce qui lui confère un statut social élevé. Sa science est essentiellement fondée sur les écrits antiques et la théorie selon laquelle le fonctionnement du corps tient à l’équilibre des quatre humeurs (bile jaune, bile noire, lymphe, sang). Sa pratique est très peu manuelle ; il ausculte, analyse visuellement les urines ou les selles, mais n’intervient guère sur le corps, si ce n’est pour pratiquer des saignées, administrer des purges ou poser des ventouses.

D’après Antoine Watteau (1684-1721), Le Docteur dit le docteur Baloir, XVIIIe siècle, huile sur toile, H. 73 cm x L. 93 cm, Valenciennes, Musée des Beaux-arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda

La comédie italienne (commedia dell’arte) se moque souvent des médecins doctrinaires et jargonnant latin. C’est ce que l’on voit dans ce cortège bouffon, dirigé par un professeur de faculté avec ses assistants tous pourvus de clystères destinés à purger les patients, ici, contre la volonté du malade qui fuit à gauche. La parodie est évidente avec la reprise des codes du portrait d’apparat pour le maître, des portraits hollandais de compagnies pour les assistants ou le vocabulaire de ruines antiques à la Giovanni Paolo Pannini au fond.

PIPPI Giulio, dit ROMANO Giulio (1499-1546), Allégorie de la maladie (titre factice), 16e siècle, Eau forte, H. 29,5 cm x L. 21,4 cm, Calais, Musée des Beaux-Arts

Cette gravure reprend un dessin de Giulio Romano plus large (la moitié gauche est ici coupée) représentant le médecin antique Hippocrate. L’action principale est celle de la pose de ventouses. L’œuvre reprend les codes de la grande peinture issue de Raphaël. Hippocrate, dont les écrits sont une des bases de la médecine de l’époque, se trouve ici hissé au niveau des héros de la mythologie ou de l’Antiquité qui couvrent alors les murs des palais de Rome et Mantoue.

Le chirurgien(-barbier) ne dispose d’aucune école et demeure méprisé, pour exercer un métier manuel ; il coupe, taille, fait des bandages, etc. Son statut change très lentement à partir du XVIe siècle car sa pratique bénéficie notamment de l’expérience apportée par les longues guerres européennes et leurs centaines de milliers de soldats blessés, estropiés ou démembrés sur lesquels apprendre et s’exercer. En France, il faut attendre Louis XV pour que, malgré l’opposition des médecins, le roi reconnaisse l’importance pratique et théorique de la chirurgie en créant l’Académie royale de Chirurgie, lieu d’enseignement et d’étude.

David Ryckaert III, le Jeune (1612-1661), Le chirurgien, 1638, huile sur bois, H. 42,2 cm x L. 55,5 cm, Valenciennes, Musée des Beaux-arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda

David Ryckaert III est un Anversois spécialisé dans la scène de genre. Fortement inspiré par Adriaen Brouwer, ses personnages ont des physionomies souvent très grotesques, comme celui du fond. Toutefois, le chirurgien présente ici une mine plutôt avenante et donne l’impression de se concentrer sur son travail, bien que sa minutie paraisse insuffisante au vue de la douleur exprimée par le patient. Sans être vraiment réaliste (la vaisselle paraît beaucoup trop riche), cette oeuvre donne une image assez neutre de chirurgien.

C’est avec la refondation de l’Université sous le Premier Empire (1806) que les deux professions se rejoignent, la chirurgie devenant une branche de la médecine, pour le plus grand bénéfice des deux.

Ces deux professions font partie des sujets que l’on trouve assez souvent en art, que ce soit en littérature ou en peinture. La représentation est souvent à charge et les critiques bien connues de Molière se retrouvent bien souvent en peinture, où le médecin et le chirurgien sont représentés comme de dangereux charlatans. Il n’y a guère que dans les ouvrages scientifiques et les portraits que le médecin se trouve représenté comme un personnage utile à la société et respectable.

D’après Pieter Brueghel l’Ancien (vers 1525-1569), L’Excision de la pierre de folie, XVIe siècle, huile sur bois, H. 77 cm x L. 107 cm, Saint-Omer, Musée de l’Hôtel Sandelin. © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

Parmi les charlatans déjà considérés comme tels au XVIe siècle certains prétendaient qu’une pierre, située au sommet du crâne, était à l’origine de la folie. Ils se faisaient fort de l’extraire pour guérir les malades. Les peintres souvent satyriques Jérôme Bosch et Pieter Brueghel l’Ancien en ont proposé chacun une interprétation. Le tableau de Saint-Omer se lit comme une histoire, depuis l’entrée dans la boutique jusqu’à la convalescence. Au fond à gauche, le peintre nous donne son avis sur le sujet en déféquant devant les charlatans.

À partir de la fin du XVIIIe siècle, les choses changent du tout au tout : la vision du médecin est très majoritairement valorisante, voire héroïque, comme dans La Vaccine et, plus encore, le triomphant Médecin des pauvres.

DESBORDES Constant Joseph (1761-1827), La Vaccine, 1822, huile sur toile, H. 112,5 cm ; L. 141 cm, Douai, Musée de la Chartreuse

Plusieurs lectures de cette scène peuvent être faite : scène de genre, amour maternel, hiérarchie sociale, portrait collectif, etc. Ce qui, toutefois, frappe en premier, c’est le caractère central du médecin, le docteur Alibert. Il immunise de la variole un nourrisson en lui transférant le pu du bébé situé à sa gauche, déjà infecté. Si le style rappelle assez l’œuvre de Louis-Léopold Boilly, le sens de la composition fait davantage penser aux compositions moralisatrices de Jean-Baptiste Greuze. Le médecin prend ici une dimension à la fois paternelle, bienveillante et progressiste.

Jules Léonard (1827-1897), Le médecin des pauvres, 1857, huile sur toile, H. 99,2 cm x L. 147 cm, Valenciennes, Musée des Beaux-arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda

Avec cette œuvre, le statut du médecin atteint un niveau héroïque. Elle reprend dans un style réaliste une composition de grande peinture néo-classique : composition en frise, grand mur nu occupant largement la toile, personnage principal (le médecin) rejeté sur la gauche, reprenant la position d’un consul ou de Napoléon Ier sur sa chaise curule, avec son assistant qui se penche pour mieux voir et file des pauvres malades attendant leur tour dans la partie droite. Cette foule donne l’impression que sa vie repose entièrement sur la science du médecin.

Romain Saffré