La pré-photographie : les vues d’optique

Les vues d’optique, très en vogue dans la seconde moitié du 18e siècle, ont conquis un large public. Participant au bonheur intimiste des familles aisées, friandes de jeux d’optique, elles ont aussi fait la joie des villages traversés par les colporteurs. Leur boîte d’optique sur le dos, les « montreurs d’images » les commentaient tout en exploitant le pouvoir d’illusion de leur dispositif. Les images procèdent d’un artifice assez simple. Reprenant le modèle scénique classique développé à la Renaissance, les graveurs y cultivent la profondeur, ordonnançant l’espace en le structurant par la perspective centrale.

Auteur non identifié, 38ème vue d’optique représentant Le port de Calais, XVIIIe, eau-forte coloriée au lavis sur papier vergé, 27,7 x 41,2 cm (feuille), Gravelines, Musée du Dessin et de l’Estampe originale. © ACMHDF / Franck Boucourt

Philipp Andreas Degmair (1711-1771), d’après Mathias Siller (c. 1710-1790), Sans titre, Collection des Prospects Théâtrales pour servir aux Cameres Obscures et autres Machines Optiques, n° III, tab. 9, eau-forte rehaussée au lavis en couleurs, 35,5 x 53,6 cm (feuille), Gravelines, Musée du Dessin et de l’Estampe originale. © ACMHDF / Franck Boucourt

La vue frontale et le point de fuite unique imposent un point de vue fixe. Le spectateur regarde à travers une ou plusieurs lentilles une image qui peut être reflétée par un miroir. Si le dispositif renforce l’illusion du relief et du réel en exploitant les propriétés de la perspective linéaire, l’image est aussi rehaussée de couleurs vives. En outre, par l’emploi de volets mobiles placés à l’avant et à l’arrière de la vue, le montreur d’images pouvait passer lentement d’un effet de jour (par la lumière naturelle frontale), à un effet de nuit (par une bougie placée à l’arrière de la gravure).

Scènes mythologiques, bibliques ou historiques, architectures, événements politiques, vues exotiques… Traitant d’innombrables sujets, les vues d’optique illustrent une forme de démocratisation de l’art visuel.

Jean-Frédéric Cazenave, d’après Louis-Léopold Boilly, L’Optique, vers 1793, gravure au pointillé en couleurs sur papier vélin, 68 x 53 cm (dessin), 72 x 56,5 cm (feuille), Gravelines, Musée du Dessin et de l’Estampe originale. © ACMHDF / Franck Boucourt

 

Charles-Nicolas COCHIN, dit le Jeune (1715-1790), d’après François BOUCHER (1703-1770), Foire de campagne, 1740, eau-forte, épreuve avant la lettre, sur papier vélin, 37 x 44 cm (feuille), Gravelines, Musée du Dessin et de l’Estampe originale. © ACMHDF / Franck Boucourt

Lors d’une foire de village, le « montreur d’images » installe une boîte d’optique. Il lance des boniments avec sa marionnette et fait résonner cloche et tambour. Moyennant quelques sous, les badauds intrigués peuvent glisser un œil à travers l’une des lentilles de la boîte pour y admirer des gravures éclairées à la chandelle. Réalisées à l’eau-forte ou au burin et colorées à la main, ces estampes représentent des scènes mythologiques ou historiques, des contrées lointaines, imaginaires ou réelles. Le spectacle s’accompagne de récits narrés par le colporteur qui déplace, grâce à des cordelettes, les gravures dont l’effet de perspective est accentué par la lentille biconvexe. Cette attraction apparaît à Londres au début du 18e siècle et se diffuse en Europe, très populaire dans les campagnes mais aussi dans les salons des familles aisées. Les boîtes d’optique s’éteindront progressivement au 19e siècle, rendues caduques par l’arrivée de la photographie.

Virginie Caudron