La perspective consiste à créer une illusion de profondeur sur une surface plane. C’est pendant la Renaissance italienne, en 1435, que Leon Battista Alberti (1404-1472) en pose les fondements théoriques dans son traité De Pictura (De la peinture). Il y recommande « qu’un peintre soit instruit, autant que possible dans tous les arts libéraux, mais […] surtout qu’il possède bien la géométrie ».
Si les peintres et architectes florentins du Quattrocento sont les premiers à maîtriser la technique rigoureuse de la perspective linéaire (dite mathématique), leurs prédécesseurs n’étaient pas totalement étrangers à la notion de perspective. Les artistes du Moyen Âge, par exemple, savent suggérer la profondeur mais ils ne cherchent pas à recréer une illusion parfaite du réel ; ils cherchent avant tout à faciliter la lecture de l’image et à en faire ressortir le sens symbolique.


Mariotto di NARDO, (vers 1388-1424), La Vierge et l’Enfant sur un trône avec saint Jean-Baptiste et saint Antoine abbé, tempera et feuille d’or sur bois, 110 x 60 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts, Inv. P.810. © RMN / René-Gabriel Ojéda
Mariotto di Nardo livre ci-dessus un exemple de transition entre l’art du Moyen Âge et celui de la Renaissance. En effet, ce tableau présente au centre la Vierge sur un trône tenant l’Enfant Jésus se détachant sur un fond d’or, typique des représentations saintes dans l’art gothique. Autre caractéristique : les personnages les plus importants sont représentés dans de plus grandes dimensions ; c’est ce qu’on appelle la perspective signifiante. On peut observer aussi que l’artiste a ajouté au sol un pavement pour donner un effet de profondeur. Cependant, sa perspective est encore balbutiante : les lignes obliques du sol convergent vers plusieurs points de fuite situés sur l’axe vertical médian du tableau, ce qui est suffisant pour orienter le regard du spectateur vers le centre du tableau, mais n’est mathématiquement pas exact.
C’est à partir du XVe siècle que certains artistes souhaitent rendre les représentations plus conformes à leurs observations de la réalité.
Le festin d’Hérode (voir ci-dessous) est un bas-relief sculpté par Donatello vers 1435, dans lequel l’artiste montre sa subtile maîtrise de la perspective linéaire, théorisée par Alberti à la même époque. Le bas-relief s’organise selon un point de fuite unique (au-dessus de la tête de Salomé, la jeune femme assise sur le banc au premier plan), vers lequel convergent une multitude de lignes de fuite. À cette technique il associe celle du relievo schiacciato (relief écrasé ou adouci), qui consiste à atténuer l’épaisseur du relief à mesure que l’on progresse vers l’arrière-plan. L’illusion de profondeur est inattendue pour un bas-relief. Sur à peine un centimètre d’épaisseur, il organise ainsi huit plans racontant l’histoire de Salomé, qui est aussi celle de la mort de Saint Jean Baptiste.


Donatello (dit), Donato di Niccolo di Betto Bardi, (v. 1386-1466), Le festin d’Hérode, vers 1435, bas-relief, marbre, 50×71 cm, Lille, Palais des Beaux-arts. © RMN-Grand Palais / René-Gabriel Ojéda / Thierry Le Mage


Lambert Sustris, (1515-1568), Noli me tangere, vers 1548-1560, peinture l’huile sur toile, 136 x 196 cm, Lille, Palais des Beaux-arts. © RMN-Grand Palais / Jacques Quecq d’Henripret
Ce tableau de Lambert Sustris, peintre hollandais actif à Venise au XVIe siècle, intègre deux nouveautés de l’art de la Renaissance : d’une part, la perspective mathématique, avec les allées du jardin et, d’autre part, la perspective atmosphérique (ou sfumato), utilisée pour le paysage du fond, qui consiste à créer l’illusion de la profondeur en estompant les couleurs et les contours des éléments selon leur distance (comme on peut le voir ci-dessous).

Parmi les collections des musées des Hauts-de-France, d’autres exemples font cohabiter perspective mathématique et perspective atmosphérique. Dans le cas de l‘Annonciation de Simone Peterzano, elle est définie notamment par le pavement du sol, dont les lignes convergent vers un point de fuite situé sur la ligne d’horizon ; à l’arrière-plan, les contours et couleurs du paysage montagneux apparaissent plus estompés. La rigueur géométrique de la composition est cependant cassée par la manifestation du divin, figurée par la nuée d’anges qui ouvre de façon spectaculaire la partie supérieure du palais.


Simone PETERZANO (v. 1535 – 1599), Annonciation, vers 1565, huile sur toile, 170×117 cm, La Fère, Musée Jeanne d’Aboville © RMN-Grand Palais / Benoît Touchard
Alexandre Holin et Clémence Colinet